Réécrire les Lumières ? – 2006

 

Série de conférences sur le thème « Réécrire les Lumières » avec Régis Debray, Sami Naïr, Danielle Sallenave, Boualem Sansal, donnée au Collège international de Tunis du 24 au 26 octobre 2006.

Voici quelques extraits du texte de présentation prononcé par Hélé Béji à cette conférence

 

     Réécrire les Lumières ?

 « L’homme parfait est celui chez qui la lumière de la connaissance 

n’éteint pas celle de la piété scrupuleuse. » Ghazâli

 « Réécrire les Lumières ? » Rien que ça ? Ca paraît un peu immodeste (…)

« Réécrire les lumières ? », ce pourrait être aussi que notre 21° siècle, sorti de guerres monstrueuses, annonce l’aube d’un frémissement nouveau, après les grands crimes du 20° siècle, le colonialisme, le nazisme, le totalitarisme, le racisme, les génocides ; un peu comme la Renaissance européenne après les ténèbres du Moyen-âge. Le 20° siècle serait, disons, notre Moyen-âge, et le 21° la promesse d’un retour à l’enseignement du 18°, comme la tradition gréco-latine fut la source vive de la Renaissance.

Mais ce n’est pas encore ça, car ce n’est pas vrai que le Moyen-Âge  soit derrière nous. C’est peut-être un autre Moyen-Âge qui est en train de succéder aux Lumières. Il y a un Moyen-Âge d’avant les lumières, et un Moyen-Âge d’après les lumières. Ce n’est pas tout à fait le même (…) En fait, l’humanisme lui-même, cette grande école de philosophie qui voulait convertir la race humaine, a utilisé les pires méthodes (je pense au colonialisme) pour dresser les hommes à la doctrine des Lumières. Ces « aveuglantes lumières » c’est le titre du dernier livre de Régis Debray, ont confondu le rayonnement du progrès avec le feu des conquêtes. En Irak, les Lumières (mais est-ce encore des lumières ?) sont en train de se réécrire à l’envers.

Comment alors poursuivre cette noblesse pédagogique qui était celle des lumières, pour éclairer son temps ? La question des lumières est celle des préjugés du présent, non du passé. Tous ici, vous savez que la menace qui pèse sur une culture vient d’elle-même. Ce qui menace l’Occident est intérieur à sa propre évolution (…)

Tous ici, vous avez écrit,  à votre manière, « une lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes », comme Boualem Sansal aux Algériens, qui lui aussi considère que la principale menace qui pèse sur les Algériens vient d’eux-mêmes; ou bien une « Supplique aux nouveaux progressistes du XXI° siècle » comme Régis Debray aux Européens. (…)

Dans son Carnet de route en Palestine, Danièle Sallenave, qui avec Sami Naïr et Edgar Morin, a été poursuivie devant les tribunaux pour racisme et antisémitisme, essaie de refaire un peu de lumière, sur, dit-elle « ce que nous  n’avons pas pu, pas voulu, pas su voir ». Quand elle décrit des barbelés et des miradors à la place des « 408 villages palestiniens rasés par les frères de ceux dont les ghettos avaient été détruits en Pologne ». (…)

Mais on constate que la lumière sur les horreurs d’antan n’a pas d’effet sur celles d’aujourd’hui ; d’où affaiblissement du credo des Lumières. Vous êtes au cœur de la difficulté. La vertu pédagogique, la preuve du témoignage, le raisonnement, l’observation des faits, le sens critique, tout ce que la philosophie des lumières nous avait enseigné, vous montrez qu’elle heurte de nouvelles formes de déni et d’obscurantisme.

Donc, si l’homme n’est pas parvenu à se domestiquer par les valeurs tirées de sa raison, de sa volonté, de son intellect, de son génie scientifique ; si la lumière de la raison n’a pas vaincu ses démons malgré la science et le progrès, qu’est-ce qui y parviendra ? (…)

Voilà. L’homme se détourne « des » lumières pour chercher « la » lumière, la « lumière des lumières », cette lumière, dit Ghazâli, « que Dieu lui projeta dans le cœur ». Il consacre tout un livre « La niche des Lumières », à un passage du Coran que je vous lis, à cause de la métaphore filée de la lumière : « Sa lumière (celle de Dieu) est semblable à une niche où se trouve une Lampe ; la lampe est dans un verre ; le verre est comme un astre brillant ; elle est allumée grâce à un arbre béni, un olivier, ni d’Orient ni d’Occident, dont l’Huile éclairerait, ou peu s’en faut, même si nul feu ne la touchait. Lumière sur lumière. »

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