Les 5 piliers de la modernité tunisienne : Youssef Seddik et Samy Ghorbal – 2012

 
Samy Ghorbal
Né en 1974, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Samy Ghorbal est journaliste et écrivain. Grand reporter à Jeune Afrique, entre 2000 et 2009, il a couvert l’actualité du Maghreb et de l’Afrique, avant de se consacrer à l’écriture de son livre, qu’il a commencé en septembre 2009 et terminé au lendemain des élections à l’Assemblée constituante.
Il est rentré en Tunisie pour s’engager en politique après la Révolution du 14 janvier 2011 et a rejoint l’équipe de campagne d’Ahmed Néjib Chebbi, le leader du PDP, le Parti démocrate progressiste, en qualité de conseiller politique. Il a notamment participé à l’écriture du programme constitutionnel du parti pour le scrutin du 23 octobre.

Revenu à Paris après la sortie de son livre, en janvier 2012, Orphelins de Bourguiba & héritiers du Prophète, Samy Ghorbal est devenu chroniqueur pour Leaders et Businessnews avant d’intégrer la rédaction du Courrier de l’Atlas (mensuel, France), en septembre de cette même année. 

Pour retrouver l’actualité du livre et de son auteur :
www.lidee-rouge.com

 

Le Palmier et l’eucalyptus, la dialectique de la modernité tunisienne

« Le palmier représente l’arbre primordial. Raide, élancé, il élève le regard vers le ciel. C’est une invite à la méditation. Parce qu’il n’exhibe pas ses fleurs et qu’il se suffit de peu d’eau, les premiers chrétiens virent en lui le symbole de la chasteté et de la modestie. Les Bédouins d’Arabie considéraient l’oasis, c’est-à-dire la palmeraie, comme un avant-goût du paradis. Pour les musulmans, qui le vénèrent, il signifie bien davantage encore. Fils du désert, c’est un don de la Providence, car il crée la vie dans le milieu le plus hostile qui soit, et comble l’homme de ses bienfaits. […]

L’eucalyptus, en comparaison, fait pâle figure. Il évoque le koala, qui vit paresseusement accroché à ses branches, et exhale un parfum de miel et de dentifrice. Arbre cosmopolite par excellence, originaire d’Australie, sa plasticité écologique extraordinaire lui a permis d’être trimbalé au gré des influences et de l’Histoire. Les Français l’ont introduit en Tunisie. Entré presque par effraction, il a pris racine, jusqu’à se fondre dans le paysage […].

Pourtant, même si les plantations d’arbres ont continué bien après l’indépendance, l’eucalyptus reste mal-aimé et suspect. Même « naturalisé », on le perçoit toujours comme un résidu colonial. Un élément étranger à la personnalité arabo-musulmane de la Tunisie. Une insupportable réminiscence de la pénétration européenne. Sa présence dérange.

Aux yeux des tenants d’une identité close, c’est un greffon importé. Alors que le palmier symbolise l’identité arabo-islamique, l’essence tunisienne, endogène, traditionnelle, l’eucalyptus ramène à l’influence européenne, l’apport de l’étranger, l’exogène, le moderne. Même la configuration de leurs racines les oppose. Le palmier a pour principe la verticalité, il est droit, enraciné, austère. L’eucalyptus se situe dans un autre plan. Il est horizontalité, il est multiple, et son feuillage est exubérant. En réalité, ce couple d’oppositions nous renvoie à la dichotomie fondatrice, la dichotomie entre le sacré et le profane, entre la transcendance et l’immanence. 

A travers cette opposition entre le palmier et l’eucalyptus, toute une dialectique se déploie : la dialectique de la modernité tunisienne. Comment et à quelles conditions la Tunisie peut-elle développer son être national dans la modernité, assimiler et digérer les apports de l’Occident sans s’exposer au risque d’une dissolution de sa personnalité ? Cette interrogation est l’interrogation récurrente du réformisme tunisien depuis les époques d’Ahmed Bey et de Kheireddine. Elle a parcouru notre XXe siècle. Et elle reste d’une actualité brûlante en ces lendemains tourmentés d’élections.

Au propre comme au figuré, le palmier a gagné du terrain. Mais cela ne change rien au problème. Le vrai débat se situe sur un autre terrain. Et la vraie question est celle-là : ces deux essences, le palmier et l’eucalyptus, sont-elles vouées à se compléter ou à se combattre ? Faut-il les envisager comme deux visions radicalement antagonistes de notre identité, ou au contraire comme les deux pôles structurants de celle-ci ? »

 

Youssef Seddik
Philosophe et anthropologue, spécialiste de la sémantique et du ” travail ” sacré, notamment dans les espaces de l’islam. Auteur bien connu en France et en Europe où il vit et travaille. Aujourd’hui et depuis les bouleversements en Tunisie qui ont aboli le système dictatorial de Ben Ali, il revient en son pays et anime avec d’autres intellectuels le paysage politique et culturel encore problématique.
Auteur de plusieurs ouvrages et traductions de l’arabe au français dans les disciplines les plus divers (Le Coran et les Dits du prophète, le roman arabe contemporains, les classiques du patrimoine arabo-islamique…), le tout publié aux Editions les plus prestigieuses (L’Aube, Gallimard, Actes-Sud, etc.)
Helléniste, il a traduit Parménide et Platon en arabe. Auteur pour la Chaîne ARTE d’une triple Théma sur le prophète Mahomet, une “saga” de 5 fois 52 min.

 

Ouvrages disponibles en Tunisie :

Nous n’avons jamais lu le Coran ?

L’Arrivant du Soir

Qui sont les Barbares ?

Le grand malentendu, l’Occident face au Coran

Unissons-nous (Livre d’entretien sur les Printemps” arabes)

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