Robert Harvey – 2009

 

Critique, essayiste et traducteur, Robert Harvey a écrit de nombreux ouvrages sur Jean-François Lyotard, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, Marcel Duchamp et Michel Deguy. Dans son enseignement il explore la théorie littéraire et cinématographique pour s’intéresser notamment à la portée philosophique de la création dans ces domaines. Parmi ses livres les plus récents sont Témoins d’artifice (L’Harmattan 2003) et, avec Hélène Volat, De l’exception à la règle (Lignes & Manifestes 2006). Il vient d’achever un essai en anglais, intitulé Witnessness [Continuum, 2010], qui s’inspire des proses tardives de Samuel Beckett afin d’examiner le rôle de l’imagination dans la formation d’un « esprit-témoin ». Robert Harvey est professeur de littérature comparée et de philosophie à l’Université de l’État de New-York à Stony Brook et ancien Directeur de programme au Collège international de Philosophie de Paris (2001-2007).

Voici quelques extrait du discours prononcé à l’occasion de sa venue le 6 décembre 2009.

Le phénomène Obama, même s’il a frappé les esprits, n’a peut-être pas été totalement compris de ce côté-ci du monde. On a tendance à l’aborder avec cette arrière-pensée qu’un Américain, de toutes façons, restera l’ennemi de notre région.

Or justement, ce rapport d’adversité est bouleversé du fait que le patronyme de Barack Hussein Obama fait advenir la figure de l’adversaire au cœur même du pouvoir américain, et donc à l’intérieur de la configuration de la puissance, et non plus à l’extérieur.
Deux discours fondamentaux, celui sur la race à Philadelphie, et celui d’Accra au Ghana, où Obama rappelle sa généalogie africaine – il le fait pratiquement dans tous ses discours –, replacent la décolonisation de l’Afrique dans l’épopée des valeurs de la démocratie américaine.
Nous avons un peu perdu conscience, nous les Tunisiens, que nous étions des Africains. On dirait que la Tunisie ne se trouve plus à la pointe Nord de l’Afrique, qu’elle a subi un glissement géologique vers le Moyen-Orient. (…)
Sa première apparition publique a eu lieu en 2004, il était alors un parfait inconnu, il faisait campagne pour John Kerry, il parle 17 mn à la Convention démocrate, et en un quart d’heure fracassant, il fait une révolution.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il n’existe pas d’idéal politique auquel on puisse s’identifier sans un langage capable de le formuler, et Obama porte cette fonction du langage jusqu’au prodige. Dans un clip de campagne électorale, une artiste dit : « He is my voice ». Obama fait entendre à chacun sa propre voix Et cette voix qu’on entend en soi-même, c’est quoi ? C’est la voix qu’on va donner, c’est-à-dire le vote.
Et on comprend mieux le vrai ressort de la démocratie : donner sa voix à quelqu’un qui fait retentir la nôtre. C’est ça, le phénomène Obama.
La question est : de quelle nature sera la puissance mondiale entre les mains d’un penseur qui, toute sa vie, a fait la critique de la toute-puissance ? D’un homme qui dit que la force seule ne suffit pas, et qui lui-même, a construit la puissance de son verbe contre la brutalité de la force.
Au fond, l’éthique d’Obama est la suivante : le leadership est précisément ce qui oblige au self-control, à la retenue. C’est parce qu’on possède la puissance qu’il ne faut pas s’en servir, mais la faire servir. C’est parce qu’on est en position de suprématie qu’il faut résister à la logique de la domination. C’est parce qu’on est au faîte du pouvoir qu’il faut refuser l’absolutisme, etc.
Au fond, pour la première fois, le discours de la puissance tente de modeler son rapport au monde sur les valeurs internes de la démocratie américaine, parce que ce sont ces valeurs qui sont le vrai mécanisme de sa puissance. Obama a compris que, si la nature de l’empire américain ne changeait pas, c’en serait fini de la démocratie américaine elle-même.
Si on ne comprend pas que cette Amérique est aussi l’aboutissement de cet humanisme-là, de notre humanisme, on manque tout simplement le moment de notre puissance.

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